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Une abeille squatteuse s'installe en France

Sciences participatives

 

Une espèce d'abeille sauvage introduite est partie à la conquête du pays. Au grand dam de certaines de leurs semblables. C'est ce que nous apprend une étude à laquelle les participants du Spipoll ont peut-être contribué sans le savoir... Rencontre avec un insecte "squatteur".
 
 
On l’appelle Megachile sculpturalis. Sauvage et solitaire, cette abeille de la famille des Mégachile se distingue notamment de ses semblables par un curieux comportement... Pour se loger, il lui arrive de venir squatter le nichoir d’autres abeilles sauvages dans le bois mort le plus souvent. Mais pas en mode "copain-copain". Plutôt à la hussarde. « A l’aide de ses deux mandibules, elle attrape l’animal tranquillement blotti dans son nid pour la déloger et s'installe à sa place... m’explique Benoît Geslin, chercheur à Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Écologie Marine et Continentale (IMBE) de Marseille, et co-auteur d’une étude qui nous renseigne beaucoup sur Megachile sculpturalis. S’il existe d’autres pollinisateurs aux mœurs similaires, cette capacité à "déloger" les espèces indigènes pose de sérieuses questions. Surtout depuis que, suite à son introduction dans le sud du pays il y a dix ans, notre pollinisateur se répand dans toute l'Europe ! Un nouveau frelon asiatique ? « Nous avons encore du mal à dire si cette espèce doit être considérée comme « invasive », car nous ne connaissons pas suffisamment l’impact qu’elle a sur son environnement. Mais grâce à cette étude de science participative nous savons maintenant que cette espèce est maintenant bien établie dans le pays »
 

Giant resin bee

Jusqu’à présent, on ne connaissait pas grand-chose sur l'abondance et la répartition de la Mégachile dans notre pays. Quelques études ont déjà vu le jour aux Etats Unis depuis sa détection dans les années 90, mais comme l’explique Benoît dans sa publication, les scientifiques n'ont pas fait grand cas de cette affaire. Idem en France. « En raison de leur rôle crucial en tant que pollinisateurs, les abeilles sont perçues comme étant bénéfiques et, comparativement à d'autres groupes biologiques, peu d'inquiétudes ont été exprimées quant aux abeilles introduites. » 
 
Pourtant, il suffit de visiter les blogs naturalistes, de discuter avec les amateurs d’insectes pour se rendre compte qu’elle fait régulièrement le « buzz ». Contrairement aux autres abeilles sauvages, sa tête noire, ses deux forts mandibules et son abdomen roux la rendent très facilement reconnaissable.  Surtout, «c’est la deuxième plus grosse abeille sauvage, après le Xylocope, ajoute Benoît. Elle peut atteindre trois centimètres ! » Cette taille imposante lui a d’ailleurs valu le sobriquet de « giant resin bee » (abeille résineuse géante). Megachile sculpturalis fait partie, en effet, de ces hyménoptères dont la femelle utilise la résine des conifères pour obstruer « son » nid. 
 

©Daniel Mathieu 

Chasse au mégachile 2.0 

Mais revenons à la question initiale de Benoît, qui était à la base de son étude : où ces abeilles sont-elles installées dans notre pays ? Quelle part du territoire occupent-elles ? Pour y répondre, pas de chasse au filet géante à travers la France. Le scientifique s’est simplement servi des données qui existent déjà. C’est dans la littérature scientifique et sur plusieurs sites internet naturalistes qu’il a relevé toutes les observations de Megachile sculpturalis effectuées entre 2008 et 2016. « Nous avons recueilli en tout 117 enregistrements de 70 observateurs différents. Les deux principales sources de données ont été le forum "Apoidea-Gallica" et les naturalistes que nous avons contactés directement. Ensuite, les sites "Le Monde des insectes" et… "Spipoll". » Tiens tiens.
 
Pour ceux qui ne connaissent pas le Spipoll, le Suivi photographique des insectes pollinisateurs est un des observatoires de Vigie-Nature, porté avec l'Opie (Office pour les insectes et leur environnement) qui invite les volontaires à choisir une fleur et à photographier toutes les bestioles qui s’y posent pendant 20 minutes précisément. Avec plus de 300 000 photographies d'insectes prises par environ 1 500 bénévoles dans plus de 2 600 villes différentes, Benoît n'a pas eu de mal à retrouver son abeille. « Le Spipoll nous a permis notamment de recueillir des données dans des zones où nous n’avions presque rien comme en Ardèche, où les spipolliens nous ont fourni 5 observations de cette mégachile. » Merci aux Ardéchois !
 

De Shangaï à la Vallée du Rhône 

Ces milliers de données ont permis de dessiner une carte de répartition de nos mégachiles (ci-dessous). Au total l'insecte a été recensé dans pas moins de 72 localités françaises méridionales. Depuis 2008, année où il fut détecté à Allauch, au nord de Marseille, le moins que l’on puisse dire c’est qu'il a fait du chemin. En l’espace de quelques années ces abielles ont conquis un territoire qui comprend toute la moitié sud du pays ! Au Nord on la retrouve à 335km d’Allauch à Macon et au sud à 520 km. Dorénavant, il est possible de les rencontrer dans tous les jardins situés grosso modo au sud de Lyon. 
 
 « Cette mégachile est une espèce, qui niche dans les tiges ou les cavités de bois. On pense donc qu’elle a été transportée dans le bois qui transite par navire, trains ou routes. Pas étonnant que son extension vers le nord corresponde étroitement à la vallée du Rhône, une voie d'eau majeure. » Ce moyen de transport lui a permis de passer de l'Asie aux Etats-Unis puis sur notre continent. Benoît ne se souvient pas d’autres abeilles introduites en Europe ; de fait, selon lui, « c’est sûrement la première fois que ça se produit ! ».  En revanche, la transatlantique en sens inverse, certaines espèces de Mégachiles comme les Hoplitis, les Protosmia et les Osmia qui nichent de la même façon sont arrivées sur le « Nouveau Monde » il y a des lustres. Ces dernières auraient même débarqué avec Christophe Colomb ! Quant à notre globe trotteuse, si elle n'a posé ses pattes que récemment sur le continent, sa progression vers le nord n'a pas tardé: on l'a déjà retrouvée en Italie (2009), en Suisse (2012), en Allemagne (2015) puis en Autriche (2017). 
 

Relevés de présence de Megachile sculpturalis entre 2008 et 2016

 

Repas exotique pour abeille exotique 

Notre abeille n’utilise pas seulement les transports qu’on lui met à disposition : une fois arrivée à bon port, elle peut voler sur de grandes distances. Reste que sa capacité à se disperser vite et loin, elle la doit à son comportement de nidification – elle s’installe partout – mais aussi à son régime alimentaire. De quoi se nourrissent-elles ? Avec les données Spipoll, Benoît n’a pas eu trop de mal à le deviner : il suffit de regarder sur les photos sur quelles fleurs les abeilles se posent pour récolter le nectar ou le pollen. Au total, « sur les 20 espèces végétales dont se nourrissent les abeilles, 14 étaient indigènes et six étaient des espèces introduites d'Asie à des fins ornementales. » Plus surprenant encore : dans les villes, les plantes introduites deviennent même le met principale des Mégachiles. « Dans certaines cités comme Nîmes et Montpellier, le pollen analysé montre une prédominance de Sophora japonica... à près de 96% ! » Cet arbre d'ornementation aux fleurs blanc-crême est très apprécié des citadins : il s'adapte bien aux environnements pollués et pousse rapidement. Comme son nom ne l'indique pas il provient... de Chine. Pas surprenant donc que notre pollinisateur se plaise en milieu urbain. 
 
C'est en ville justement que les chercheurs, en étudiant la nidification de Megachile sculpturalis, ont remarqué un autre phénomène. Sur 39 nids répertoriés dans 35 lieux différents, 26 étaient… des « hôtel à abeilles ». Vous savez ces structures de la forme d’une petite maison contenant des tiges de bambous trouées. Les autres résidences étaient sans surprise des tiges naturelles et des troncs d’arbres. « On s’est rendu compte que Megachile sculpturalis appréciait beaucoup les hôtels à abeilles. Et ce, souvent au détriment des autres espèces de la même gamme de taille » Car, de fait, cette « opportuniste » ne s’invite pas chez tout le monde ! Deux abeilles sauvages en particulier pâtissent de ses « évictions agressives »: les Osmies et les Xylocopes, toutes deux de gros spécimens. 
 
D’où cette question : comment les autres populations d’abeilles sauvages vivent cette intrusion dans leur nid et sur des fleurs qu’elles pourraient aussi butiner (celle du Sophora japonica par exemple) ? Sont-elles ou non en concurrence ? La réponse n’est pas encore d’actualité, ce sera la prochaine mission de Benoît. Mais comme l’on déjà suggérés des travaux américains, cette introduction ne devrait pas être sans conséquence pour l'écosystème. 
 

Sophora du Japon en été

Merci à tous les spipolliens !

Au-delà des résultats, l’étude nous montre bien l'intérêt des sciences participatives. Dans ce cas, les photographies du Spipoll - entre autres - fournissent de précieuses informations ; des données sans lesquelles Benoît et son équipe auraient eu grand mal à connaître aussi précisément la répartition de Megachile sculpturalis. Alors merci à tous les spipolliens ! Et dédicace spéciale aux Ardéchois, qui ont couvert une zone peu connue.
 
Mais votre travail ne s’arrête pas là, Benoît a encore besoin de vous. « Il faut maintenant qu’ils nous fassent remonter leurs données estivales, à partir de début juin, lorsque les mégachiles s’envoleront en masse ! me confie-t-il » Message passé. Car qui sait jusqu’où elles remonteront ? Leur suivi demandera évidemment quantité de données. Dés-lors, cet été, dans votre jardin, lorsque la grosse abeille sauvage aux poils roux passera sous votre objectif, vous saurez à quoi servira votre photo. Et si vous habitez au nord de Lyon, vous saurez aussi que Megachile sculpturalis poursuit sa route.
 

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