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Résultats scientifiques et "sites de démonstration" : quelques (bonnes) nouvelles de l'OAB

Sciences participatives

Le 23 novembre dernier s’est tenue au Muséum national d’Histoire naturelle la journée de lancement des « sites de démonstration » de l’Observatoire Agricole de la Biodiversité (OAB). J’ai profité de ce rassemblement pour revenir sur notre observatoire à destination des agriculteurs et sur quelques résultats scientifiques marquants. Je vous dis enfin deux mots de ces prometteurs « sites d’observation », futures vitrines de l’OAB à travers tout le pays.

 

L’OAB (Observatoire Agricole de la Biodiversité) propose aux agriculteurs d’observer la biodiversité ordinaire sur leurs cultures. Et ce, à travers quatre protocoles différents : compter et identifier les vers de terres, les invertébrés, les papillons ou les abeilles sauvages. Comme tous nos observatoires, la branche Agriculture de Vigie-Nature a pour objectif de fournir aux scientifiques des informations sur les espèces animales – ou l’absence d’espèces – vivant dans les milieux agricoles, du champ de blé au vignoble en passant par l’arboriculture ou le maraichage. Les paysages français restent encore largement façonnés par l’agriculture, 53% des terres de l'hexagone sont agricoles ! Et sa biodiversité, dans le contexte actuel de remise en question des pratiques, fait l’objet d’une attention toute particulière.

Les données de l'OAB vont donc permettre d’approfondir nos connaissances sur les agro-écosystèmes et de tisser des liens entre types de pratiques et biodiversité. La sensibilisation des professionnels constitue l’autre visée du programme. Observer puis comprendre le vivant, c’est prendre conscience des services rendus à la production. C'est prendre la mesure des bénéfices mutuels, de cet équilibre vertueux. Surtout, dès la mise en œuvre du protocole, l’agriculteur-expérimentateur est amené à s’interroger sur ses propres pratiques : « mon sol contient peu de vers de terre, que cela signifie-t-il ? Comment rétablir leur présence ? »

OAB © HugoStruna-MNHN

Lors de la journée de lancement des "sites de démonstration" au Muséum

 

 

Paysage, parcelle, sol : quelques résultats de l'OAB  

Pour l’instant, les professionnels de l’agriculture semblent séduits par les protocoles proposés, à voir les chiffres encourageants présentés par Rose-Line Preud’Homme, responsable de l’OAB à Vigie-Nature. « Depuis 2011, année de lancement du programme, nous assistons à une augmentation de la participation. Aujourd’hui en 2017, 300 exploitations sont inscrites et 500 parcelles ont déjà été décrites ! C’est super ! Depuis le début, 1 429 exploitations ont été inscrites et 2 382 parcelles décrites. » Qu’entend-on par « parcelles » exactement ? « Pour moitié ce sont des grandes cultures, arrive juste après la viticulture aussi très bien représentée et les prairies. Ensuite : le maraichage, l’arboriculture et d’autres cultures pérennes en cours d’expansion ».

Evidemment cette croissance de la courbe de participation ravit les chercheurs du Muséum. Car l’enrichissement de la base de données, leur a permis d’établir quelques grandes tendances sur l’état de santé de cette biodiversité particulière.

Un « milieu hétérogène » favorise les habitats

C’est un des résultats les plus significatifs que Rose-Line dévoile devant une assemblée plus que captive, composée d'enseignants d'établissements agricoles, de chefs d'expoitations ou de représentants de Chambres d'agriculture. Le résultat le plus évident aussi. « A l’échelle du paysage, la biodiversité est clairement favorisée dans un milieu hétérogène ». Milieu hétérogène ? C’est un paysage qui possède, tout autour des cultures, une mosaïque d’habitats pour les espèces : des herbes entre les cultures, des haies, des bordures, des espaces naturels... « Pour les 4 protocoles de l’OAB, les conclusions vont dans le même sens, que ce soit pour les papillons, les invertébrés, les lombriciens dans les placettes ou encore le nombre de loges occupées par les abeilles sauvages.»

Nous étions à l’échelle du paysage, focalisons-nous sur la parcelle.

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Pour les quatre protocoles, les résultats montrent une meilleure biodiversité dans un milieu hétérogène

 

Importance des bordures et « inter-rangs » 

Les agriculteurs qui pratiquent le protocole invertébrés en font facilement le constat. Par invertébré on entend les mollusques (limaces et escargots), cloportes, mille-pattes, araignées et insectes qui foisonnent sur toutes les surfaces de sols. Si on a choisi de les étudier, c’est, selon les groupes, pour leur grande longévité, la lenteur de leurs déplacements et leur sensibilité aux pressions exercées sur les sols (engrais, labourage…). Ils sont ainsi particulièrement révélateurs de l’état de santé d’un milieu. Mais pas seulement : ils peuvent se révéler ravageurs ou à l’inverse auxiliaire de culture, c’est-à-dire un allier de la production, un « pesticide naturel » pour faire simple. Un bon exemple : le carabe qui se nourrit de limaces, elles-mêmes ravageurs de cultures.

Revenons à notre protocole. Le principe est de déposer trois planches sur le sol– deux en bordure et une à l’intérieur de la parcelle. Puis, après un mois, de les retourner pour compter et identifier les bestioles installées sous leur nouvel abri. « On voit bien qu’il y a une baisse significative d’espèces à l’intérieur de la parcelle par rapport aux bordures, déclare Rose-Line. A l’intérieur de la parcelle on peut trouver quelques espèces prédatrices mais de manière générale, les deux planches posées en bordure sont plus riches que la troisième, installée à l’intérieur de la parcelle. »

Bande enherbée, haies, lisière de bois, fossés… il semblerait donc que les bordures, ces séparations entre deux cultures, jouent un rôle particulier dans le maintien de la biodiversité. Le protocole « abeilles sauvages » - qui consiste simplement à installer des nichoirs et à compter ensuite les loges occupées - a tendance à le confirmer. « Quand ces nichoirs à abeilles sont posés sur deux parcelles mitoyennes sans aucune bordure, il y a moins d’occupation en moyenne. Et quand la bordure est matérialisée par une lisière de bois ou même un simple fossé, l’abondance dans les nichoirs augmente ! » A son tour, le protocole papillons laisse entrevoir le même type de lien.

Evidement tout dépend de la nature de la bordure, des éléments qui la composent. Une simple tranchée de terre n’aura pas le même impact qu’une belle haie d’espèces sauvages. Outre leur présence, la gestion de ces aménagements a donc son importance. D’autant que l’agriculteur peut en général agir sur ces zones non-cultivées. Mais si tel n’est pas le cas, une autre marge de manœuvre s’offre à lui : se reporter sur les « inter-rang » tout ce qui pousse entre les rangées de culture - pieds de vignes ou arbres principalement. Un des résultats de l’étude montre par exemple que les invertébrés foisonnent davantage lorsque les inter-rangs sont tapissés d’herbes plutôt que parsemés de paille ou laissés nus.

vignoble © Alain Rouiller

Une meilleure gestion des inter-rangs peut favoriser la biodiversité  

Plantes et insectes : quand l’un trahit l’autre

Les protocoles abeilles sauvages ou papillons vont aussi permettre d’explorer le « réseau trophique » de la parcelle, et en particulier les liens entre insectes et végétation. « On voit que lorsqu’il y a des plantes mellifères dans ou à proximité de la parcelle, il y a augmentation significative du nombre de loges occupées » déclare Rose-Line. Pas étonnant : toutes les abeilles ont besoin de plantes en fleur pour récolter leur pollen. Aussi, plus intéressant encore, ce protocole met en évidence les relations d’interdépendances entre espèces. Et souvent, l’une trahit l’autre ! Lorsqu'un agriculteur indique de la luzerne ou des arbres fruitiers dans sa parcelle, il y a fort à parier que les nichoirs à abeille afficheront complet. Cette relation entre insectes et plantes hôtes s’observe aussi avec les papillons. Parfois même, on ne pourra croiser certaines espèces que dans certains types de parcelles, car les chenilles de papillons se nourrissent parfois d'un végétal exclusivement.. Les piérides blanches, pour ne citer qu’elles, pondent sur les Brassicacées (plantes de la famille des choux et du colza), elles vivent donc préférentiellement dans les grandes cultures ou les maraichages, bien plus que dans les cultures pérennes et les prairies (où l’on retrouvera par contre des myrtils).

papillon © PreudHomme -mhn

Demi-deuil © RLPreudHomme

 

Pas de vers de trop pour les sols

C’est aujourd'hui de notoriété publique : un sol en bonne santé est un sol qui déborde de vers. Garants de la fertilité de la terre, ils dégradent les déchets organiques, créent des galeries qui piègent le CO2, aident l’eau à s’infiltrer, etc. Mais il y a une chose que nos lombrics n‘apprécient pas du tout : que l’on perturbe leur lieu de vie. Ainsi lorsqu’une charrue remue la terre en profondeur, ou qu’un engrais chimique s’y infiltre, on saccage une résidence et ses habitants avec. Le protocole vers de terre consiste à compter et identifier les vers de terre d’une parcelle après avoir arrosé le sol avec… de la moutarde préalablement diluée dans un arrosoir. Evidemment les bestiaux n’apprécient pas tellement et remontent à la surface. « Le protocole est intéressant d’un point de vue pédagogique car il témoigne directement du degré de perturbation d’un habitat. On voit que l’abondance des vers est plus faible dans les grandes cultures et forte dans les prairies, car les perturbations physiques et chimiques sont bien moindres. »

l'OAB lance ses "sites de démonstrations"

Par ces quelques résultats qui confortent plus qu’ils ne surprennent, les quatre protocoles ont démontré leur fiabilité. Mais pour continuer à faire grossir la base de données, et sensibiliser de nouveaux agriculteurs, l’OAB porte désormais ses efforts sur sa valorisation. D’où l’idée, il y a quelques années de créer des « sites de démonstration », une sorte de vitrine de l’OAB, dont le but serait de faire découvrir les quatre protocoles aux agriculteurs locaux. Restait à trouver le lieu. « On a tout de suite pensé aux établissements agricoles car il y avait la dimension de valorisation pédagogique » me confie Christophe Pinard du Ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation. Des établissements agricoles qui possèdent en général des exploitations à visée pédagogique pour les étudiants mais aussi pour les agriculteurs. D’une pierre deux coups, donc.

Pour les enseignants, intégrer l’OAB dans les lycées agricoles est un excellent moyen de préparer une nouvelle génération d’agriculteurs. « Nos jeunes en formation ont un regard culturel assez défavorable au départ sur les questions d’écologie et de biodiversité car ils voient ça comme une contrainte » m’explique Jean-Luc Toullec, référent du réseau Biodiversité de l’enseignement agricole. « Il faut changer les regards, leur faire comprendre qu’en tant qu’agriculteur je travaille avec la biodiversité, non pas contre elle. Descendre de son tracteur pour aller observer les coccinelles, les axillaires dans un champ de colza ou une autre culture permet de se poser la question : est-ce que je traite, oui ou non ? En sachant que si je traite, je tue non seulement les ravageurs mais aussi potentiellement les auxiliaires. Apprendre à observer c’est apprendre à se questionner. » Tout un programme. Un programme qui doit mettre en valeur les apports positifs de la biodiversité dans la logique même de production. Cela impose bien-sûr de cheminer vers une transition agro-écologique que portent aujourd’hui beaucoup d’établissements.

Ils sont 22 lycées agricoles, à s’être donc portés volontaires cette année pour devenir « ambassadeurs » de l’OAB sur leur département. Ils s’engagent notamment à suivre la biodiversité sur 3 ans, en appliquant au moins un protocole OAB. Et surtout ils doivent communiquer auprès des agriculteurs, organiser des portes ouvertes, des évènements etc. Car le but est de créer un vrai réseau local. Et d’étendre le concept au-delà des établissements d’enseignement : stations expérimentales ou même exploitations individuelles. L’idéal, pour Christophe Pinard, « serait à terme de couvrir géographiquement toute la France avec ces sites, pour que chaque agriculteur dans un rayon de 100 km puisse s’y référer. » 

Avec le lancement des sites de démonstration, des pratiquants et une base de données qui gonflent chaque année, l’OAB fait montre d’un vrai dynamisme. Il y a une volonté affichée d’imposer ces questions de biodiversité dans un monde agricole qui cherche à se réinventer. A l’issue de la journée, les organisateurs remettent aux établissements d’enseignement agricole un certificat d’appartenance aux « sites de démonstration » qu’ils pourront placarder fièrement dans leur hall d’entrée. Ils ont maintenant trois ans pour mettre en œuvre le dispositif, et le mettre en lumière.

Si vous êtes élève de lycée agricole, enseignant ou si vous voulez d’une manière ou d’une autre faire d’un établissement d’enseignement agricole un « site de démonstration » n’hésitez pas à nous le faire savoir. 
Et bien sûr, agriculteurs, structures locales (chambres d’agricultures, coopératives, associations…) intégrez l’OAB en allant sur le site de l’OAB.

logo OAB
 

Lors de la journée de lancement des "sites de démonstration" au Muséum

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